Attention à l’accouchement sous X (2) : Que fait le législateur ?

Je poursuis ici ma réflexion sur ce sujet si sensible et très mal connu.

1 – Qu’est-ce que l’accouchement sous X ?

Cette procédure d’accouchement dans le secret est née en 1942 dans le Droit français. Si l’on se rappelle du cas de l’homme né d’un père allemand cité dans mon précédent billet, on comprend mieux pourquoi c’est à cette date que les choses se sont décidées. Les enfants adultérins nés de l’occupant étaient promis au sort le plus terrible pendant toute leur enfance si la vérité à leur sujet venaient à être sue. C’était donc bien l’intérêt de l’enfant qui prévalait, même si par ricochet la mère et la famille s’en trouvait aussi protégées. Mais les dégâts de l’Occupation n’étaient bien sûr par la seule raison de cette création. D’autres raisons ont guidé le législateur : les enfants nés d’inceste ou de viol, les infanticides des femmes en détresse dans ce situations. Il y avait aussi des abandons qui revenaient à des infanticides…

2 – L’évolution juridique depuis la création de l’accouchement sous X en 1942

Il ne s’est pas passé grand chose ensuite sauf sur le plan des mœurs où le recours à l’IVG et à la contraception a permis de faire reculer fortement les abandons et infanticides. Quant au législateur, c’est surtout dans les années 1990 – 2000 qu’il a agi dans le sens des pupilles en quête de leur histoire personnelle. Certes, il y a eu la loi du 17 juillet 1978 qui prévoit les modalités d’accès aux documents administratifs et donc la possibilité pour les pupilles d’accéder à tout document nominatif les concernant. Mais cette possibilité était très mal connue et le parcours du combattant administratif long et décourageant.

En 1993, reconnaissance d’un véritable droit pour la femme à accoucher dans le secret, en juillet 1996 une réforme importante mais c’est surtout la loi du 10 janvier 2002 dite loi Royal qui a reconnu les droits du pupille à accéder à ses informations personnelles. Cette loi a aussi créé le CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnelles) qui reçoit les demande set accompagnent les demandeurs dans leurs démarches.

3 – Une réforme est-elle urgente ?

Il est très mal aisé de répondre à cette question mais je vais apporter quelques élément d’information utiles :

– La loi de 2002 a été votée à l’unanimité par les députés. Elle a été approuvée par la grande chambre de la Cour européenne de Droits de l’Homme le 9 octobre 2002. Et pourquoi cette unanimité ? Parce que ce texte a trouvé un équilibre entre deux violents intérêts contradictoires : la demande légitime des « nés sous X » à connaître leur histoire personnelle, le droit légitime de la mère d’accoucher dans le secret et de garder secrète sa filiation.

– La loi s’applique aux situations ultérieures à sa publication et pas de manière rétrospective. Elle ne rétroagit pas et ne peut revenir sur de situations nées sous l’empire de textes antérieurs. Et dieu sait que la législation a beaucoup évolué au cours du XXème siècle et même à la fin du XIXème.

– Il en résulte que pour apprécier les effets de cette réforme, il faut au moins 18 années. C’est un minimum pour voir combien de secrets seront levés par les mères, combien de pupilles demanderont à examiner leur dossier à leur majorité pour découvrir – peut-être – leur identité d’origine dans l’enveloppe cachetée que la mère peut laisser au dossier et gardée par le service de l’Aide sociale à l’Enfance jusqu’à la majorité de l’enfant et sa requête auprès du CNAOP.

Mon avis est que l’urgence ne s’impose pas.

4 – La loi peut-elle être améliorée ?

Il est probable que oui. On peut dès à présent tirer quelques enseignements de l’application même si le recul est encore insuffisant. Par exemple, la mère n’étant pas contrainte de donner des renseignements mais seulement invitée à le faire, le fait-elle quasi-systématiquement ? Et sinon faut-il s’efforcer davantage de la convaincre, rendre obligatoire certaines informations, s’assurer qu’elle ne glisse pas de faux renseignements dans l’enveloppe cachetée ? Etc.

Mais la voie légale ne suffit pas. Il faut aussi assurer un véritable suivi de maternités des femmes en grande difficultés qui accouchent dans le secret. Or les séjours en maternité ont tendance à se réduire de plus en plus y compris pour ces cas particuliers.

Enfin, les pouvoirs publics, s’ils ne sont pas chauds pour le vote d’une nouvelle loi (ce qui se comprend tout-à-fait) ne doivent pas pour autant fuir leurs obligations, par exemple en refusant de faire appel ou de se pourvoir en cassation dans des situations contestables. Dans l’affaire d’Angers dont on parle aujourd’hui, le préfet s’est caché la tête dans le sable et n’a pas fait appel, mettant ainsi en grand péril la jurisprudence de la Cour de cassation. Ainsi les grands-parents ont-il pu faire trembler le socle légal en assignant en référé le préfet qui n’avait que son travail en déclarant l’enfant pupille ! Mais de deux choses l’une, ou bien on applique une loi votée à l’unanimité, approuvée par la Cour européenne de Droits de l’Homme et que les juges de la Cour de cassation adapte avec la plus grande sagesse ou bien on la laisse partir à vau-l’eau et on accepte que des grands-parents la bafouent et que l’opinion publique vienne donner son avis à son tour.

Du grand n’importe quoi dans un domaine où la vigilance et la prudence sont de mise.

Le représentant de l’Etat aurait dû faire appel, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Aujourd’hui, l’Etat hésite encore par la voie du parquet (L’avocat a dit « espérer » un pourvoi du parquet général, mais celui-ci a indiqué mercredi qu’il voulait se donner un délai de réflexion avant de définir sa position). Or, le recours est important pour faire oublier cette impression de laisser-aller et de gâchis. Ce serait l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler sa position ou de la faire évoluer… Sinon c’est une simple décision de justice, prise dans un cas d’espèce particulier, qui va décider de la suppression du secret légal en lieu et place des représentants du peuple, des magistrats, et des experts.

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5 réponses à Attention à l’accouchement sous X (2) : Que fait le législateur ?

  1. Mirabelle dit :

    Mais c’est vrai qu’on lit n’importe quoi sur cette décision de justice, et encore une psychiatre qui s’est permis de la commenter en mélangeant ses convictions personnelles, son émotionnel et le droit.
    Tu le dis toi même en introduction : procédure d’accouchement dans le secret.
    Dans le cas d’espèce, il n’y avait plus de secret.

  2. Mamouchka dit :

    Je partage la réflexion de Mirabelle.

    J’ai également vu et entendu l’intervention de la psychiatre intervenue sur le plateau TV du journal de France 2, ce midi.
    La présence d’un magistrat ou d’un avocat spécialisé eut été plus pertinente.

    Mamouchka.

  3. Je suis partagé : le droit dans toute sa rigueur n’est pas le meilleur pour l’enfant, l’émotion et la passion non plus. Les défenseurs des droits des pupilles commettent parfois des excès au nom de leur légitimé. A mon avis, il vaut mieux prendre comme base la loi de 2002 qui a l’objet d’une large discussion et d’un consensus. Et regarder ce qu’on peut améliorer. Tous les intérêts doivent être représentés dans ce débat.

  4. Mirabelle dit :

    mais il ne s’agit pas de cela, toutes vos constructions intellectuelles sont basées sur une mauvaise application du droit par les juges qui se seraient rendus coupables d’un abus de pouvoir …or ce n’est pas le cas. C’est dans ce sens que je rectifiais, maintenant bonne ou mauvaise chose, chacun peut penser ce qu’il veut, de toutes les façons le droit civil français en la matière est obsolète.
    A titre perso, je ne peux pas accepter l’accouchement sous X, prévu pour protéger les femmes à une époque où la contraception n’existait pas. Aujourd’hui elles ont la contraception avant et après et même l’avortement … faut pas pousser non plus ! si elles mènent une grossesse à terme, c’est tout de même parce qu’elles le veulent bien … ( ne me sortez pas l’argument du déni de grossesse … il ne faut pas que cette pathologie devienne l’excuse systématique) et en plus les pères eux, sont juridiquement obligés envers leurs enfants même quand ils ne les ont pas voulu et alors qu’ils n’ont aucun moyen pour interrompre une grossesse … il y a là une véritable discrimination entre les hommes et les femmes.

  5. Mamouchka dit :

    Attention à me pas évacuer de « l’arsenal juridique » l’accouchement sous X au motif que les femmes disposent de la pilule et de l’avortement.
    Pour simplifier, je dirait qu’il faut être « riche » pour y recourir.
    Cette « richesse » vient :
    – de l’éducation, de l’information en milieu scolaire ou familial
    – des permanences du planning familial qui permet le recours à la pilule (« de cycle » ou « du lendemain ») gratuitement pour les mineures (de mémoire)
    – de l’accès dans les délais légaux d’un centre pratiquant l’IVG, avec un fonctionnement pérénisé financièrement et médicalement, sans avoir à partir à l’étranger …

    …les histoires de « faiseuse d’ange » avec aiguilles à tricoter ne sont pas forcément si « antiques » que cela et le retour à un certain ordre moral parfois bien hypocrite me fait parfois craindre le pire.

    Mamouchka.

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