Leprest a-t-il eu « le temps de finir la bouteille » ? Le chanteur français âgé de 57 ans, s’est donné la mort lundi 15 août à Antraigues (Ardèche) où il était en vacances et avait été l’invité d’honneur du festival Jean-Ferrat organisé dans la commune mi-juillet.
« Le temps de finir la bouteille / J’aurai rallumé un soleil / J’aurai réchauffé une étoile / J’aurai reprisé une voile / J’aurai arraché des bras maigres / De leurs destins mille enfants nègres / En moins de deux, j’aurai repeint / En bleu le coeur de la putain / J’aurai renfanté mes parents / J’aurai peint l’avenir moins grand / Et fait la vieillesse moins vieille / Le temps de finir la bouteille … » (« Le temps de finir la bouteille« )
« Connaît-on encore Leprest ? » se demandait-il dans « Donne-moi de mes nouvelles« . Inconnu des Michel Drucker, Patrick Sébastien et autre Nagui, il était très apprécié dans le monde musical. En 1985, au Printemps de Bourges, l’artiste se révèle au grand public et dans la foulée sort en 1986 son premier album intitulé “Mec”. « Mec, tu dis jamais rien… »Il écrira ensuite pour d’autres chanteurs comme Isabelle Aubret, Juliette Gréco ou Romain Didier. C’est avec ce dernier que se noue une grande amitié et une collaboration qui ne cessa pas. Les musiques étaient signées Romain Didier, les paroles Allain Leprest. Après le succès de ses débuts, il ne rechercha pas la télévision ou le star système. « Connaît-on encore Leprest ? / Fait-il encore des chansons ? / Les mots vont, les écrits restent / Souvent sous les paillassons… » (« Donne-moi de mes nouvelles ») Il avait choisi plus ou moins délibérément de chanter en marge, et ce « Y’a rien qui s’passe« .
De son vivant, l’hommage de la profession se fit avec l’album « Chez Leprest » (2007) qui est un disque de reprises par Olivia Ruiz, Daniel Lavoie, Sanseverino, Michel Fugain, Nilda Fernandez, Jacques Higelin, Enzo Enzo, Loïc Lantoine, Hervé Vilard, Jamait, Mon Côté Punk, etc. Il était également admiré de Jean Ferrat et de Claude Nougaro notamment.
La retraite au flambeau. Dans sa chanson « la retraite », il disait « Salut la paresse des jours / J’avais hâte de te connaître… » Mais il ne connaîtra pas la retraite. C’est d’abord d’un cancer du poumon qu’il a failli partir. Il fumait beaucoup, ce qui rendit sa voix éraillée. Il chanta un hommage à la Gitane : « O belle brune qui se fume / Dans ce siècle où tout se consume / Entre nos doigts jaunes et se jette / O toi qui portera mon deuil / Demain couché dans le cercueil / De mon étui de cigarettes… »
Communiste et athée : « Je ne te salue pas / Toi qui vis dans les cieux / Athée, j’habite en bas / De ton toit prétentieux / En fumeur de havane / Gros beauf qui te pavanes / Au milieu des charniers / Avec tes dobermans / Je ne te salue pas / Toi qui te crois mon Dieu » (Je ne te salue pas). Leprest fréquentait Ferrat (qui lui composa la musique de « J’ai peur« ) et les fêtes de l’Huma. Révolté il l’était aussi, consacrant sa plume aux Mozart qu’on assassine (« C’est peut-être« ), aux « SDF« , aux putes et aux accidentés de l’existence, particulièrement ceux qui échouent dans les bistrots.
Un dernier message : celui qu’il aurait pu s’adresser à lui-même : « Même dans les chansons cons y a des trucs qu’on dit pas / Qu’c’est moche quand t’es parti ou qu’je t’aime par exemple / Ça j’te d’l’rai jamais, j’te l’dirai pas, mais presque, mec… »
Ou bien alors « Nu j’ai vécu nu / Naufragé de naissance / Sur l’île de malenfance / Dont nul n’est revenu » et nu je suis parti… Sa « malenfance », il l’avait vécue à Mont Saint-Aignan, près de Rouen. Il en fit même une chanson.
On pourrait encore ajouter que sa vie ne fut pas « Une valse pour rien » (sur cette vidéo avec sa fille Fantine).