Je formule dix reproches au Monde pour un article de seulement quelques lignes et qui ne contient que des informations neutres. Pourquoi ? Je m’en explique. Un papier avec pour titre « Les personnes âgées, premières bénéficiaires des aides sociales » est mis en ligne le 24 août. Il ne fait que reprendre des données statistiques officielles. Seulement voilà, il y a un hic et c’est la méthode journalistique que je dénonce.
L’indécence du titre choisi par le journal Le Monde et l’incompétence de l’auteur m’ont fait réagir. Est-ce que les vieux doivent se cacher pour mourir ? C’est un peu ce que l’on croit comprendre à la lecture du titre.
Voici mes dix reproches :
1 – Le contenu est neutre et le titre ne l’est pas :
Le contenu et le titre vont dans deux directions différentes. Alors que le fond est purement recopié dans l’étude de la DREES en ligne et reste neutre, le titre, lui, donne un point de vue qui travestit les chiffres et la réalité décrite par l’organisme statistique. En effet, de deux choses l’une : ou bien on adopte un point de vue et on argumente, ou bien on reprend des données neutres et on choisit un titre en rapport, donc neutre aussi.
2 – Omission d’informations pour coller au titre :
« Le nombre de personnes âgées bénéficiaires de l’aide sociale départementale a crû de 4 % en un an« , « A la fin 2008, les personnes âgées représentent 44 % des bénéficiaires des prestations d’aide sociale départementale« . D’accord. Mais l’article omet de reprendre une phrase mise en exergue sur la première page du document de la DREES : « Plus de 281 000 personnes handicapées bénéficient de l’aide sociale, soit une progression de 10 % sur un an. » 4 % d’un côté, 10 % de l’autre alors pourquoi ce choix de ne parler que des vieux et cet « oubli » des handicapés.
Autre oubli : La DREES indique dans son rapport que ce nombre progresse de 4 % par rapport à 2007, « mais de façon plus modérée que les années précédentes« . Ce bout de phrase a été oubliée par le journaliste.
3 – L’inexactitude du titre :
« Les personnes âgées, premières bénéficiaires des aides sociales« . C’est un titre ambigü. On ne sait si elles sont premières bénéficiaires en nombre ou bien en sommes perçues. C’est en nombre.
4 – La paresse du journaliste :
Le journaliste s’est contenté d’extraire quelques phrases du document sans mise en perspective et pourtant il lui était facile de se rendre sur le site de la DREES où l’on trouve quantité d’informations utiles et fort bien présentées.
5 – Le désintérêt du journaliste pour le sujet qu’il traite :
On voit bien que le sujet est traité avec dédain et qu’il s’agit de combler un trou en période estivale tout en mettant en avant un titre visant à provoquer des réactions de lecteurs. E cela marche ! Un abonné âgé de 77 ans par provocation déclare qu’il n’y a qu’à piquer tous les plus de 75 ans qui vous embarrassent tant !
6 – Une publication hâtive :
Rien ne justifiait de publier aussi vite un papier parlant de cette étude qui vient juste de paraître, une étude dans un domaine technique (le social) qui exigeait quelque recul et de l’analyse. Cela pouvait attendre plusieurs jours, une semaine et plus. Mépris pour le domaine traité, mais je l’ai déjà dit.
7 – L’idée suggérée : les personnes âgées à l’aide sociale sont les bénéficiaires qui coûtent le plus cher :
Rien ne vient démentir cette suggestion donnée par le titre. Et pourtant, dans les budgets sociaux des départements, ce ne sont pas les vieux qui viennent en tête mais les bénéficiaires du RMI (devenu RSA). Viennent ensuite les vieux mais suivis de très près par le budget de l’aide à l’enfance. Quant au contingent de handicapés bénéficiaires, rappelons qu’il augmente en nombre plus vite que celui des personnes âgées : chiffres de la DREES : 10 % contre 4 % pour nos petits vieux .
Source sérieuse recommandée : Les Editions Weka qui produisent de nombreuses publications hyper pointues dans le domaine social.
8 – Le titre aurait dû s’accompagner de quelques précisions indispensables :
Par exemple, il fallait aussitôt le tempérer en précisant que l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) représente à elle seule près des neuf dixièmes de l’ensemble des aides sociales départementales aux personnes âgées. Là aussi, il suffisait de reprendre ce qui est écrit dans le document en ligne de la DREES. Et aussi remarquer ce qui est écrit : que sur les 669 200 personnes âgées percevant l’APA, 61 % la perçoivent à domicile. Le maintien à domicile va se renforçant (augmentation non reprise par le journaliste) et évite des placements en maisons de retraite.
Paresse, quand tu nous tiens…
9 – Le journaliste ne connaît absolument rien au sujet qu’il traite
Son titre n’est pas faux dans l’absolu mais ne se suffit pas à lui seul. Il faut savoir, par exemple, que l’émergence de ces nouveaux demandeurs provient des suppressions des freins traditionnels de l’aide sociale, à savoir les récupérations de l’aide sociale (recours sur la succession,…) et la mise en jeu de l’obligation alimentaire. Ce qui a eu pour conséquence de voir venir des personnes qui sans ces incitations n’auraient pas demandé d’aide.
10 – Sans rien connaître du sujet, l’auteur pouvait étayer davantage :
Or, le journaliste a fait un travail a minima en copiant-collant des bouts comme un puzzle sans chercher à rien comprendre à l’aide sociale. Il aurait pu préciser au minimum, pour relativiser et éviter la stigmatisation sur une catégorie, que la personne handicapée est une charge plus lourde à long terme puisque son espérance de vie est bien plus longue (un bénéficiaire sur 4 est âgé de moins de 35 ans, c’est dans le rapport de la DREES). Alors qu’une personne âgée devenue très dépendante obtient l’APA à un âge très avancé, en moyenne vers les 82 ans et n’en profite donc pas longtemps. Ou – et cela n’importe qui pouvait le faire – dire que le vieillissement démographique conjugué à une espérance de vie de plus en plus longue expliquent le coût toujours plus lourd de la dépendance. Et, cerise sur le gâteau, relever que le risque dépendance va bientôt se mettre en place puisque chacun reconnaît que la grande dépendance ne doit plus relever de la simple aide sociale, de l’assistance, mais qu’elle doit être prise en compte comme les risques gérés par la Sécurité Sociale : Sécu FD !
Ma conclusion est de dire que la presse officielle, subventionnée par le Pouvoir, devrait bien se garder de cracher sur le journalisme citoyen car elle n’est pas exempte de reproches. D’ailleurs, si j’ai pu énoncer autant de reproches sur un très court article neutre, que ne trouverait-on à dire sur des articles d’opinions de cette même presse ?