J’ai regardé jeudi, coup sur coup, deux fictions cinématographiques du procès de Jeanne d’Arc. Le film « La passion de Jeanne d’Arc » de Carl Theodor Dreyer qui passait sur la chaîne Histoire, puis « Le Procès de Jeanne d’Arc », de Robert Bresson en DVD. Deux regards totalement opposés des choses.
« La passion de Jeanne d’Arc » de Carl Theodor Dreyer
C’est un film muet de 1927 mais restauré en 1985. On y trouve Michel Simon dans un petit rôle et surtout Antonin Artaud qui crève la pellicule de ses grands yeux clairs de poète halluciné. Il incarne Jean Massieu, qui est le conseiller de la jeune fille, dont on peut lire la déposition ici.
L’actrice Renée Jeanne Falconetti n’a joué que dans trois films de cinéma et cessa de jouer après ce film dont le tournage fut très rudement ressenti. Par exemple, elle se fait cracher sur le visage pour de vrai. Le film tourne essentiellement autour de son visage qui exprime avec force tout le registre de l’émotion. En contraste avec les rires grimaçants et les faces sévères de ses juges. Le cinéaste fait beaucoup de gros plans saisissants.
Rappelons que le procès, qui débute le 21 février 1431, regroupa environ 120 personnes. Les membres du tribunal furent sélectionnés avec soins et la conduite des débats directement placée sous l’autorité des Anglais. Lors du procès de réhabilitation, plusieurs témoignèrent de leur peur. Ainsi, Richard de Grouchet déclare que c’est sous la menace et en pleine terreur que nous dûmes prendre part au procès ; nous avions l’intention de déguerpir. Pour Jean Massieu, il n’y avait personne au tribunal qui ne tremblât de peur. Pour Jean Lemaître, Je vois que si l’on agit pas selon la volonté des Anglais, c’est la mort qui menace.
« Le Procès de Jeanne d’Arc », de Robert Bresson
Pour qui connaît l’oeuvre de Bresson, on n’est pas surpris du traitement radicalement différent donné au récit du procès. Les répliques sont dites sur un ton assez monocorde et suivant un débit qui ne laisse pas le temps à l’expression des émotions. C’est un film parlé et presque lu, fait de questions-réponses rapides. La scène du bûcher est extrêmement raccourcie. Le film lui-même est expédié en 60 minutes seulement. Il recevra néanmoins au Festival de Cannes 1962 le Prix spécial du jury (ex æquo avec L’Éclipse de Michelangelo Antonioni). Mais, il suffit de visionner Mouchette, le chef d’œuvre du cinéaste, pour s’apercevoir que c’est là son style. Froideur et dépouillement.
Comme souvent les acteurs n’en sont pas ou ne le sont pas principalement. Florence Delay, qui joue Jeanne, est membre de l’Académie française depuis 2000. Elle est traductrice et scénariste française. Jean-Claude Fourneau, Évêque Cauchon, était un peintre. Jean Gillibert (Jean de Chatillon) est un psychiatre, psychanalyste, poète, traducteur, dramaturge et metteur en scène. Bresson a aussi souvent recours à des amateurs. A titre d’exemple, dans Mouchette, fait jouer un maçon dans un des tous premiers rôles. Ce comédien malgré lui déclarera que c’est vraiment n’importe quoi de faire l’acteur et que cela ne fait en aucune façon appel à l’intelligence.
Cela dit, Bresson s’en tient uniquement à ce que l’histoire a retenu, s’appuyant sur des documents irréfutables du procès, auxquels le texte est entièrement emprunté. Sobriété, respect de la vérité historique et du procès. Contrairement au film de Dreyer où la caméra est très mobile, surtout pour l’époque, Jeanne et l’évêque dans l’œuvre de Bresson sont toujours cadrés de la même manière et d’un même endroit. L’approche des personnages est très distanciée alors que Dreyer avait un parti pris évident pour Jeanne. Dans les deux films, Jeanne tient tête au jury mais d’une manière différente : chez Bresson, elle est orgueilleuse et insolente, chez Dreyer, elle est surtout habitée, mystique et émouvante (les larmes coulent abondamment sur son beau visage).
D’autres différences entre les deux films : Dans celui de Dreyer, Jeanne évoque Saint-Michel, dans celui de Bresson, elle évoque très souvent aussi sainte Catherine et sainte-Marguerite. Pour le reste, on peut dire que la comparaison ne s’impose pas et qu’il faut regarder les deux œuvres avec le regard particulier de chaque cinéaste.