Il existe aujourd’hui environ un million de bénéficiaires de l’APA et la perspective est connue : une augmentation annuelle d’environ 1% des grands dépendants, ce qui conduirait à un nombre total augmenté de moitié entre 2000 et 2040. Devant l’enjeu il faut suivre la piste d’un risque dépendance. Ce n’est pas d’hier qu’on le dit mais aujourd’hui cela presse parce que l’évolution des choses est nette et irrémédiable, parce que la volonté du président est ferme. Reste à savoir quand et par quels financements et c’est ici que le Bas blesse !
« Y’a qu’à créer une journée de solidarité supplémentaire », dit l’omniscient dans Le Monde du 6 août, bien résolu à trancher unilatéralement la question du financement dans ce dossier très lourd et très complexe. Bon, il ne l’a pas dit en ces termes-là mais dans le langage des ministres c’est ce que cela signifie.
Etait-ce pour tester l’Opposition et voir si elle était encore vivante ? Nul le sait. Toujours est-il que la question de la dépendance mérite mieux que cela. Et les Français là-dedans ? Sont-ils prêts à sacrifier une journée encore ?
Mais si, contrairement au ministre, on examine la question sous un angle responsable et sans jeter de bombe dans l’opinion ou dans l’Oppposition, on est amené à relever un certains nombres de questions. Si les acteurs du casting sont connus : ce sera très probablement la CNSA et les départements qui géreront la dépendance parce qu’ils ont du personnel formé et la compétence, sur le financement du risque on sait peu.
Faut-il créer une cinquième branche de la sécurité sociale, et donc instaurer une nouvelle cotisation sociale ?
Faut-il créer un nouveau prélèvement sur la CSG ?
Faut-il privilégier la piste des assurances privées ? Un gâteau à donner aux assurances pour relancer la croissance… quoi donc ? et bien les profits ! (ce qui serait choquant si l’on exige des salariés de payer le système, eux qui ne partagent pas les profits mais en paient trop souvent plutôt le tribut)
En réalité, aucune piste n’a été privilégiée ni retenue pour le moment. Le ministre, lui, n’a aucun doute : il annonce une solution unique et veut créer une deuxième journée de solidarité. Mais sa motivation est avant tout politique : il s’agit de ne pas ajouter une énième taxe à la longue liste qui va s’abattre sur les contribuables français – dont la taxe carbone -sans parler des nombreuses augmentations de tarifs de l’énergie et des sommes astronomiques à rembourser à l’Europe par les producteurs de fruits et légumes et les pêcheurs. Dans ce contexte morose et explosif, une nouvelle taxe pourrait servir d’étincelle…
Est-il utile de rappeler que la première journée de solidarité fut instituée par Jean-Pierre Raffarin après la canicule de l’été 2003 et ses 15 000 victimes ? Mais aujourd’hui, où sont les milliers de victimes dont il serait urgent de se montrer solidaires ? On n’en voit pas. Ce point échappe donc à la compréhension du citoyen de bon sens. Pourquoi cet appel urgent à la solidarité d’extrême urgence, exceptionnelle ?
Mais la raison est bien politique en réalité : il s’agit d’épargner les grandes fortunes et les rentiers de toutes sortes, même les traders ! Ce seront donc les travailleurs qui paieront selon le refrain connu qui a commencé avec le bouclier fiscal et n’est pas prêt de s’arrêter. Ce refrain, Johnny Halliday peut le chanter, mais en privé seulement.
On pourra toujours avancer que le système fonctionne : on récolte de l’argent avec cette journée de solidarité même si, avec l’augmentation du chômage, on prévoit une baisse d’environ 2 % des revenus de la journée de solidarité pour 2009 par rapport aux 2,3 milliards récoltés en 2008. D’accord, mais le contexte n’est plus celui de 2003 et le jour où il devra être fait appel à la solidarité des Français pour une crise aussi grave voire pire, comment arrivera-t-on à gagner une nouvelle fois leur confiance ? La recette ne marchera pas éternellement et il serait bon de se la mettre de côté pour les cas gravissimes.
Par ailleurs, la solidarité nationale va de pair avec une certaine idée de justice. On ne peut pas exiger des efforts de la part des salariés et exonérer tous les autres. Pourquoi les grandes fortunes qui vont toujours croissant dans des proportions à donner le vertige n’auront-elles pas un centime à verser dans la cagnotte ? A l’heure des bonus largement distribués et des records de profits de Total, c’est au smicard qu’on s’attaque et au petit fonctionnaire. Piteuse politique !
La secrétaire d’État aux aînés, Nora Berra, veut noyer le poisson : « Cette réflexion collective (ndlr : la proposition-décision du ministre) va bien au-delà de la question du financement de la dépendance. » « Nous voulons aussi réfléchir au rôle social des personnes âgées, à leur place dans la ville… » bla bla bla. La sucrette pour faire passer la pilule amère.
Ce qui surprend en tous cas, c’est la certitude affichée de notre ministre qui semble pour le moins zélé sur ce coup-là alors que ses deux prédécesseurs, Xavier Darcos comme Brice Hortefeux, avaient faire preuve d’une prudente retenue, pour ne pas dire d’un art de l’esquive devant une si épineuse question.